Interview de Skalpel (Première Ligne) pour Rap-Athletic.fr (Décembre 2015) :
http://www.rap-athletic.com Bien que Skalpel réalise ses projets dans l'ombre et en petite comité : il n'a rien d'un nouveau. Il sort son premier maxi en 1999 avec Guez dans le crew la K-
bine. Le maxi 'Éponyme' n'est que l'avant goût des trois albums suivants de la K-
bine : Le rap est mort en 2001, rapport de forces en 2003, légitime défense en 2009. Sa carrière solo est également remarquable, pas moins de six albums de 2004 à 2014. Triste espérance en 2004, l'impossible silence en 2005, Kommando Malik en 2007, Luttez ! Résistez ! Organisez-
vous ! en 2009, Chroniques de la guerre civile en 2011, A Couteaux-
tirés en 2013, Black Album Vol 1 en 2014. Il participe aussi à des nombreuses compils tel que Purists Only 1 et 2, Traces de lutte, 93 seine st Denis ou Rap conscient pour ne citer qu'elles. Nul doute que Skalpel a une vraie carrière, des idées solides et cohérentes, et peu de rappeurs peuvent se targuer d'avoir un tel parcours musical et discographique. Il forme par la suite en 2011, le groupe Première ligne, avec E.one ( Eskicit ) et DJ Akye. Il sortira un premier maxi vinyle en 2012, un album éponyme en 2013 et l'album II qui vient de sortir en Octobre. Une bonne raison pour aller lui poser quelques questions.
1-
Question de base, comment es-
tu venu au rap, tes débuts etc. ?
Je suis venu au rap à l'âge de 13 piges, j'ai découvert NTM, IAM, Public Enemy, Ice-
T etc... mon grand cousin qui habitait un étage en dessous du mien dans mon bâtiment m'avait filé une cassette qui m'a retourné la tête et donné l'envie d'en écouter plus et de me mettre à écrire. Niveau rap français ce qui m'a parlé ce sont aussi les textes avec un message et comme je suis issu d'une famille politisé car fils de réfugié politique Uruguayen, mes premiers textes ont été tout de suite engagés, mais axés surtout sur la vie de ma cité :les 3000 à Aulnay, et notamment les problèmes de violences policières, de pauvreté, de chômage., de racisme. Un truc assez classique finalement.
2-
En toute honnêteté, je t'ai connu parce que par un moment j'écoutais beaucoup de rap conscient, mais comment expliques tu qu'avec tous les projets sortis, la longévité, tu n'as peut-
être pas la reconnaissance dans le milieu du rap ?
Si c'est la reconnaissance qui rime avec la notoriété « grand public » je m'en tape un peu, après dans le rap indé et militant je suis reconnu en tant qu'artiste engagé, solide et cohérent, il me semble. Aujourd'hui avec mon groupe PREMIERE LIGNE on joue énormément et on vend quelques disques de façon notable, avec un rythme de sortie personnel très bon, puisque je balance au moins un projet par an, en plus des featurings et collaborations diverses. L'important c'est de constater que notre musique est au service de différentes luttes et que l'on s’épanouit humainement en la pratiquant. On en vit pas, mais on ne perd pas d'argent non plus. Chaque projet est meilleur au fur et à mesure ne serait-
ce que dans la réalisation et la qualité du produit. Mais on a pas encore atteins nos objectifs réels qui sont de construire une plate forme plus viable dans le temps qui puisse servir de tremplin à plein d 'autres groupes. C'est le but entre autre du label BBOYKONSIAN que gère Akye.
3-
Pour avoir écouté la plupart de tes projets, mon album préféré de toi est Kommando Malik qui pourtant n'a pas plus marché que ça, alors que je le trouve bien et complet. As tu le recul par rapport à ça ? Quels sont les projets dont tu es le plus fier ?
Cet album est particulier pour moi car il marque une étape dans ma carrière, c'est le 3ème, celui d'une certaine maturité niveau rap à recontextualiser avec les moments que nous vivions humainement et politiquement en 2007, c'est aussi le début d'une forte activité militante en parallèle de la musique. Pour moi il a bien marché puisqu'on en a vendu 1000 en autoproduction et qu'il nous a permis de faire connaître La K-
bine à un niveau plus militant et alternatif, surtout à l'époque. Il introduisait aussi les collaborations futures, avec Akye aux platines et E.one en feat et dans les tournées avec nous, mais à ce moment là, je ne pensais pas que la K-
bine serait finit et enterré à jamais, ni que Première Ligne serait mon nouveau groupe.
4-
Tu as fait beaucoup des morceaux avec beaucoup d'artistes, E.One, Guez pour ne citer qu'eux, mais pourtant on sent une musique très sectaire. Te vois-
tu un jour collaborer avec d'autres artistes hors rap si ça se présentait à toi ?
J'ai fait des morceaux avec des dizaines et des dizaines d'artistes depuis 1999 ; j'ai participé à plus de 150 projets entre mixtapes, compilations , albums etc... avec La K-
bine on a réalisé pas moins de 4/5 compilations , de même avec Bboykonsian, Akye bosse toujours dans l'optique de réunir les gens sur des disques, ce qu'il fait aussi sur son site et je fais 30/40 concerts par an environ depuis 2008, ce n'est pas ce que j’appelle être sectaire.
5-
Aujourd'hui, tu es un activiste à plein temps. Tu sors tout le temps des projets, notamment le dernier sorti en Octobre avec Première Ligne, arrives-
tu à vivre de la musique ?
Le dernier projet sorti c'est le deuxième album de PREMIERE LIGNE « II », qui est à mon sens mon disque de groupe le plus abouti. Et comme je te disais, non je ne vis pas de la musique, je bosse, mais ça met parfois du beurre dans les épinards.
6-
On sait que tu es d'origine uruguayenne. Tu écris aussi bien en français qu'en espagnol. Tu as une réflexion sur beaucoup de sujets.. Déplores-
tu le manque d'intelligence dans le rap français ? On sent que les mc's savent des choses, mais se contentent de plaire au public sans forcément dénoncer. Ce qui n'est pas ton cas, quel recul as tu sur le rap d'aujourd'hui ?
Ce serait présomptueux de ma part de décréter qu'il y a un manque d’intelligence dans le rap français, il y a DES raps français, même si le mien est d'origine immigré. Si tu fais référence au rap mainstream, et bien il est à l'image des valeurs qui prédominent dans la société capitaliste dans laquelle nous vivons, il est individualiste, matérialiste dans le mauvais sens du terme et consciemment ou pas au service du pouvoir, c'est à dire que même s'il choque parfois et est la cible des franges les plus réactionnaire des politiques de part son essence populaire, il sert aux même titres que d'autres musiques à maintenir une culture servile et non subversive. Mais le paradoxe c'est qu'il n'y a plus non plus de frontières nettes entre ce qui serait un bon rap indé engagé et un mauvais rap commercial, aujourd'hui même un rappeur commercial peut-
être victime de répression de la part du pouvoir en place et un rappeur indé peut avoir une pratique musicale mauvaise et collaborationniste. Le racisme et le mépris de classe sont à un niveau tellement élevé que personne n'est vraiment à l’abri, même en étant le plus gros des vendus.
7-
On te colle parfois une étiquette de rappeur conscient. Est-
ce que cela te dérange ou l'assumes tu complètement ?
Je me suis définis comme rappeur conscient à une époque ou se terme avait un sens et qu'il était porté par des rappeurs à textes que j'écoutais et admirais. Aujourd'hui je suis plutôt un rappeur militant de quartiers populaires, conscient ou pas.
8-
Tu as également sorti des ouvrages, on te sent impliqué dans beaucoup de projets d'écritures. Tu réalises des prods. Quand viendra la retraite de Skalpel ?
J'ai sorti 3 bouquins et en ai 2 ou 3 finis dans l'ordi qui sont prêt à sortir. Je ne fais plus de prods, j'en ai fait par nécessité, mais je n'ai jamais été vraiment bon, et puis quand tu vois le temps que j'ai mit à avoir un niveau de rap et de flow correcte, je ne regrette pas d'avoir arrêté et de m'être concentré sur l'écriture et le reste.
9-
Les sujets les plus récurrents dans tes textes sont la politique, le racisme, l'injustice. En tant que rappeur de banlieue, le perçois-
tu vraiment au quotidien et quelles sont, selon toi, les manières et les choses à faire pour une France meilleure ?
J'ai envie de te dire que la politique au sens noble du terme et la lutte sont la « vraie vie », surtout dans un monde rempli d'injustices et d'oppressions diverses, quand la lutte est pratiquée avec des valeurs comme l'entraide ou la tendresse, tu peux même t'épanouir humainement et à un niveau personnel. Je vis en banlieue, travaille en banlieue, et lutte en banlieue. Je perçois tout ce dont tu parles et le vit aussi dans ma chair de prolétaire immigré qui milite, mais qui a quand même la chance d'avoir un capital culturel qu'il s'est construit avec sa sueur et ses propres mains. Une vie meilleure en France pourrait passer dans un début, par la destruction de toutes les structures racistes de la république française et par la destruction du système capitaliste qui fait de cette structure raciste, un pilier central de l'exploitation par une bourgeoisie majoritairement blanche des classes sociales les plus pauvres et majoritairement non-
blanches.
10-
Quels sont tes futurs projets à venir ?
Un nouvel album solo « Haine de classe » et un nouveau bouquin « Le cri des blocs » pour l'année 2016. Sinon plein d'apparitions sur divers projets.