Judith : Salut C.U.B.A., tu pourrais te présenter?
C.U.B.A. Cabbal : Salut à tous! Alors je viens de Pescara, en Italie, hier soir (le 12 mars), on a fait un concert pour présenter le nouvel album de Skalpel.
Comment on a connu Skalpel, la K-Bine et tous les copains et le motif pour lequel on est à Paris, c'est parce qu'il y a une vraie rencontre internationale de plusieurs groupes qui font partie d'un collectif d'expression qui mettent en évidence des aspects socios-politiques de notre temps.
Et dans chaque endroit, chaque ville, il y a quelqu'un qui le fait, qui l'impulse, et quand ces groupes tournent, ils se rencontrent.
Et parce que le rap, le hip-hop et certaines idées nous rapprochent, ça a formé cette famille, ce groupe qui converge vers plusieurs situations et dans différentes villes, de Milan à Pescara, Madrid, Paris, Barcelone.
J : Comment se sont passés tes débuts dans le rap?
C.C : Moi j'ai commencé dans les années 90, quand le rap n'avait pas encore la vision qu'il a aujourd'hui, c'était le rap qui nous venait des Etats-Unis, l'époque de Public Enemy, ces groupes là.
De là, j'ai commencé, au début plus comme une imitation et puis de façon plus personnelle et consciente avec le temps. Cette prise de conscience qui vient dans le rap parce que son rôle premier est d'informer, pas de se mettre en avant.
Et donc le motif collectif qui nous unissait était l'expression de tous les endroits d'où on venait, chaque quartier, chaque ville avait son expression à travers le MC, comme un informateur, celui qui tourne et te raconte ce qui se passe dans les différentes villes.
Quand il n'y avait pas de journal télévisé, de télévision ou de radio, il y avait le MC qui tournait et racontait ses histoires et les diffusaient, c'était comme ça dans les temps antiques, c'est comme ça aujourd'hui.
J : Toi tu as commencé pour ce motif là?
C.C : Moi j'ai commencé avec le hip-hop, le graffiti, le breakdance...
Et après, ce n'est pas que la politique était tout, on était pas tous compagnons de tout politiquement, il y avait ceux qui faisaient du rap, ceux qui n'en faisaient pas, ceux qui étaient DJ's, ceux qui travaillaient, ceux qui étudiaient...
Chacun faisait son truc et les gens se regroupaient pour ce qui était des expressions collectives.
Et donc pour nous ce rap est devenu expression de la zone d'où on venait, du style qu'on avait, des concepts qu'on exprimaient. Et tout le monde se retrouvait parce qu'on était compagnons de route, dans ce qui se passait dans nos parcours de vies, on racontait une histoire qui était la nôtre et puis elle appartenait à tout le monde.
J : Et toi tu as donc commencé au début des années 90?
C.C : Oui, j'ai commencé dans les années 90, dans les premiers groupes disons...
J : C'est-à-dire?
C.C : Les premiers groupes, de ceux qui ont mis en avant un certain type de rap en Italie, pas commercial, un certain rap plus conscient, qui parlait de réalités, pas seulement de gangsters, de flingues ou de drogues.
J : Comment ils s'appelaient?
C.C : "Costa Nostra" c'était, on va dire le plus gros, le plus connu.
Après j'ai fait d'autres disques aussi avec le groupe "Sistema Informativo Massificato", premier groupe entre Rap et Métal en Italie, j'étais MC et il y avait la batterie, les guitares, ça a beaucoup tourné.
Ca s'appelait comme ça parce que c'était une attaque au "système d'information massifié" qui à cette époque à pris pied avec Berlusconi qui, déjà dans les années 90, avait commencé son processus d'escalade, là c'était les signes avant-coureurs .
Déjà en 93 on avait fait un album dans lequel on avait mis un sample avec la voix de Berlusconi, et aujourd'hui en 2011, il est encore là....
Comme le Pape...Tout change, les générations se succèdent, lui il est toujours là, il t'accompagne où que t'ailles quoi...(rires)
J : Et maintenant, tu as quels projets en cours?
C.C : Maintenant je fais un autre disque avec ce groupe, Sistema Informativo Massificato, après 12 ans, on fait le deuxième album ensemble...
Après avec la Plataforma, DJ Malatesta, Acero Moretti, le collectif, tous ceux-là, naît une union, avec une énergie très forte qui impulse beaucoup de choses.
Donc il y a une comme une collaboration, on fait des concerts ensemble, des morceaux, des tournées, même en traversant plusieurs villes d'Europe, parce que justement le Rap n'a pas de limites, il n'a pas de frontières, il n'a pas de partie...
Avant, quand les gens se déplaçaient, les peuples migraient, ils apportaient leur musique avec eux, le MC et le DJ d'aujourd'hui sont ceux qui transportent leur rythme dans chaque ville.
Ils unissent des pensées, des liens, forment un réseau, et ce n'est pas ceux qu'on peut voir à la télévision, il y a un monde qui se bouge, mais personne le dit, personne le sait.
J : Et c'est pour ça que pas mal de productions que tu peux faire avec d'autres sont internationales? (Comme par exemple le projet de la compilation de "Resisto 2", auquel tu as participé...)
C.C : Oui tout à fait, "Resisto 2" à été faite à la mémoire de Dax, moment où justement il y a eu cette union, et cette collaboration collective de toutes villes et tous pays et de collectifs qui se sont unis dans ce projet pour manifester et exprimer la même idée, faisant abstraction de la ville d'origine.
Dans ces choses, il n'y a pas de frontière, de schémas mentaux ou de patriotisme qui tiennent...
J : De la même façon, il y a eu ce travail collectif avec Drowning Dog, Dj Malatesta, Skalpel, Akye, E.One pendant votre séjour à Paris...
C.C : Oui, on a travaillé sur ce morceau tous ensemble, qui s'est fait très spontanément, on s'est vus très peu de temps et c'est sorti comme ça...et c'est assez beau comme projet pour ça.
Acero Moretti : Oui tu vois, ce sont des choses qui arrivent dans la vie quand tu rencontres des gens que tu connais pas mais en très peu de temps tu te sens bien, sur la même longueur d'onde tu vois? Avec cette impression de s'être compris, que t'as vécu les mêmes choses.
De là naît la possibilité de créer quelque chose, même si il y a la barrière du langage, fait par des gens qui ont eu les mêmes parcours, comme disait C.U.B.A., tous ces quartiers qui accumulent des expériences et regroupent plusieurs artistes, qui tournent, avec qui on collabore en ce moment.
Au final ils sont porteurs de ça, des expériences de quartiers, réelles, et des gens qui parlent d'une réalité que je partage, et c'est pour cela que tu les sens plus proches, même si tu comprend pas toutes les paroles, tu comprend ce qu'il cherche à communiquer c'est la même sensation qu'il peut y avoir en lui quand tu chantes toi.
Et ça c'est très puissant, je veux dire, tout ça c'est fait dans le contexte de la musique d'en bas ("dal' basso"), j'utilise le terme de politique dans le sens de dire quelque chose de politique, de la vie concrète et quotidienne.
Moi par exemple je suis au chômage depuis longtemps, et aller de l'avant, en exprimant des situations qui parlent des problèmes des gens, parler de la lutte quotidienne, de la vie de tous les jours, et d'affronter ça, et en faire quelque chose comme de la musique, je trouve ça proche de moi, ce concept de communication directe.
J : Et toi, Acero, comment tu as commencé?
A.M : Ah Ah, moi, j'ai commencé en écoutant C.U.B.A. Cabbal!
C'était en 92, lui était dans les premiers rappeurs, moi j'étais de la génération des premiers auditeurs de rap, des premiers petits gars de ceux dont les grands frères n'avaient pas de CD de rap et que ta première musique était celle-là.
C'était ça, le rap avec l'envie d'essayer, de te lancer là-dedans, mais avec la vision d'un gamin de 14 ans, avec les gars du quartier qui se moquaient de toi parce que tu t'habillais large, parce que c'était pas du tout la mode dans les quartiers populaires en Italie, c'était plutôt la musique de discothèque "boom boom boom", des gars qui s'habillaient en fluo et qui se foutaient de ta dégaine "Eh! Tu t'es chié dessus ou quoi?"
J'ai aussi vécu dans cette période-là, la dégénération du rap, j'étais parti sur une vision du rap basée sur un concept social, et puis est arrivé, vers 96, la dégénérescence du rap avec le fait commercial, faire du rap pour l'argent quoi.Je suis passé du rap que j'écoutais étant gamin aux groupes de punk à mon adolescence, et puis en 2000, un soir, j'ai repris le micro et l'envie de faire du rap m'est revenue.
Je me suis dit pourquoi pas y retourner quoi, c'est venu aussi avec la rencontre avec Leleprox, avec qui on s'est d'abord rencontré sur la base d'une réalité sociale des centres sociaux de Milan...
Nous on est de Rozanno, de ces quartiers-dortoirs de la banlieue de Milan, ce sont des quartiers dégueux mais c'est ton quartier pas beau à toi, après un temps tu comprends que tu t'y sens bien quoi , avec tes souvenirs sur ton banc tout crade à toi hehe...
Et après, avec Dax et d'autres on a monté ce collectif politique, antifasciste, de Rozanno, en 2000, mais on avait pas d'endroit où aller.
On a ensuite eu des soucis parce qu'on s'est fait viré du siège d'un parti politique de gauche, où on était, et puis on a bougé, en ressentant cette nécessité de chercher autre chose, de sortir un peu du quartier, et on s'est installés dans le quartier Tiscinese, très proche, dans un centre social dans lequel on a tous milité.
Cela jusqu'en 2003, l'année de l’assassinat de Dax, chose qui a donné un gros changement à la militance, je veux dire, quand t'as la vingtaine, tu te sens immortel, avec une attitude, une façon de faire qui change avec ça, ça te donne une grosse baffe...
Lui a été assassiné salement et de façon totalement préméditée, de plusieurs coups de couteaux de la part de la famille fasciste, pour des questions de luttes antifascistes de quartier dans le centre social, les maisons populaires, et était très souvent en première ligne, je tiens à le dire et que ça soit clair.
Donc, d'un côté ce genre de choses te mènent à baser ta vie sur le fait que tu ne peux pas oublier...tu peux pas dire "je m'en vais", c'est pour ça qu'on l'a fait savoir et qu'on continue à le mettre en avant.
A la fin c'est quelqu'un qui a donné sa vie pour un idéal.
J : Et c'est pour cela que tu continues à faire ce que tu fais?
A.M : Oui, tout à fait, à la différence que tu le fais plus avec cette désinvolture juvénile, parce que tu comprends les risques aussi, même si tu comprends pas qui s'en va, moi je l'ai toujours pas réalisé...
Mais bon, tout ça a mené à faire plusieurs choses et collaborations, dont cette compile, "Resisto 2" dédiée à Dax, avec les gens qui font les choses de façon consciente et sérieuse, avec Malatesta et les autres, qui ont choisi la grande résidence de Milan hehe, dans le quartier Tiscinese, c'est des croisements de vie fabuleux...
Là il y a C.U.B.A., hehe, quand j'y pense, quand j'étais gamin... si j'y pense c'est vraiment une satisfaction! Ça prend sens quoi.
Même ces jours-ci à Paris, organisés par les copains de Bboykonsian, c'est super, pile à un moment où on a besoin du côté de Milan de se dynamiser un peu.
J : Comment tu as rencontré les gens de Bboykonsian?
A.M : C'était le 25 avril dernier, ils sont descendus à Milan pour un concert, et puis au festival de Hip-Hop Underground à St-Etienne où il y avait Drowning Dog aussi avec le Collectif Mary Read et puis là on a été invité ici à Paris pour jouer...
On est très content de ces journées, très productives et avec une bonne énergie, on a fait un morceau ensemble, un clip...
Ce qui tombe vraiment au bon moment parce que l'ambiance à Milan en ce moment est vraiment tendue, il y a beaucoup de répression, vivre au milieu de ça c'est dur et le fait de se rencontrer et de faire des choses ensemble, ça nous donne beaucoup de force et d'énergie pour continuer.
J : Et tu vas sortir ton premier album très bientôt non?
A.M : Oui! Mon premier album, qui s’appelle "The Best Of" tellement j'ai mis du temps à le sortir hehe!
J'ai mis 8 ans en tout, des premiers morceaux écrits à l'évolution des productions jusqu'à la fin du mixage..
J : Il y a des invités sur ton album?
A.M : Oui, il y a évidemment C.U.B.A. Cabbal, ça j'allais pas le louper!
On a écrit ensemble un morceau sur les "palestre popolare" (gymnases populaires), thème que j'affectionne beaucoup, qui est une réalité assez répandue en Italie, dans les centres sociaux, avec des cours d'arts martiaux, de pugilat ouverts à tous, des gamins aux plus grands, de défense, d'auto-défense populaire, avec des rencontres entre les clubs.
C'est très dynamique en ce moment et je trouve que c'est une bonne chose "les muscles conscients" !
Et sinon il y aussi Drowning Dog et DJ Malatesta sur cet album, avec le titre co-réalisé "Antagonista a vita", morceau que j'aime beaucoup.
J : Et il sort quand "The Best Of"?
A.M : Dans vraiment très peu de temps, si tout va bien, juste le temps de découper les pochettes et de les mettre dans les boîtes de cd et c'est prêt!
J : Et toi C.U.B.A., t'as un projet d'album bientôt à part le projet avec les gens de Sistema Informativo Massificato?
C.C : Oui, je vais sortir un nouveau Cd, qui sera un recueil de morceaux sur 20 ans de rap, il y a plusieurs morceaux qui ont été remixés, par DJ Malatesta par exemple et remasterisés...
Pour le reste, je tourne pas mal et je suis sur le point d'avoir un enfant, alors je me prépare, un peu de yoga quoi!
J : Il va sortir dans pas longtemps ce nouvel album?
C.C : Oui, dans peu de temps, on en reparle très bientôt.
J : Et bien, merci beaucoup à vous deux!
A.M : Non, merci à vous, c'est vraiment un plaisir d'échanger avec vous.
C.C : Oui, très sympa de vous voir à l’œuvre, des fois, l’énergie doit être bien utilisée pour être efficace, c'est comme le kung fu, les arts martiaux, dans la rue, c'est un combat et le rap, le hip-hop n'est pas seulement un art, c'est aussi un art de combat.
Là où la parole devient tranchante, comme l'épée du samouraï, après les mains, il y a la parole ou quand se finit la parole, commencent les mains. Et donc, c'est aussi un ring, le rap unit tous les pays du monde en ce que les gamins peuvent s'exprimer via le rap, c'est un stéréotype, certes, mais en même temps c'est l'unique expression rythmique possible de façon directe qui peut s'inventer, facilement.
Et tous les peuples peuvent s'exprimer et s'unir. Aujourd'hui la parole du MC est fondamentale, comme sa prise de conscience et le poids qu'il donne à ses paroles.
Plus nous seront unis, plus nous seront forts, parce qu'il y a beaucoup de divisions dans le rap aussi, de ceux qui disent "moi je suis le meilleur, toi t'es une merde!"
A.M : Oui alors qu'à la fin tout le monde se lève le matin pour se faire prendre la tête par un patron...Alors que pour eux ta vie ne vaut pas plus qu'une bière et demie! C'est ça le truc, la comparaison devient surréaliste et en Italie, la crise c'en est vraiment une, dans peu de temps ça sera une vraie boucherie...
J : A bientôt et merci encore à vous deux
Interview réalisée par Judith pour BBoyKonsian le 13 mars 2011.