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Interview de Hamza (L'Bassline)





« L'indépendance est sacrée dans l'art. Un artiste qui n'est pas indépendant ne pourra jamais être vrai, être libre dans ses textes »
Interview de Hamza, membre du groupe L’Bassline
(Février 2014)



Souriyya Tikki : Quelle est l’histoire de votre groupe ?

Hamza : L'Bassline c'est une formation de 5 membres qui à l'origine a commencé en 2010 avec moi Reda. Ensuite Aymane nous a rejoint et on a commencé le travail début 2012. Ce n’est qu’en 2013 que Mehdi et Yassine sont entrés dans le groupe.

S : Quelle est la signification de « L'Bassline » ?

H : L'Bassline en français on peut le traduire par "turbulent". Dans le parler marocain ça renvoie à une personne qui dérange, qui brise les tabous, en particulier les non-dits qui contiennent une critique sociale mais aussi politique.

S : Comment avez vous décidé de vous appeler « L’Bassline » ?

H : En réalité, au départ, nous étions deux avec Reda, on avait formé un groupe en 2005 qui s’appelait Nichane, en français on peut le traduire par « direct », « tout droit », « droit au but ». Ce groupe c’était les débuts de l’esprit L’Bassline avec moins de maturité. Au bout d’un moment, ce manque de maturité a eu des limites et on a du prendre un temps pour travailler nos idées. En 2010, on a décidé de reprendre la musique, mais le nom Nichane avait été repris par un autre groupe, alors on est revenu sous le nom de L’Bassline. Et puis, en 2011 est arrivé le « mouvement du 20 février ». Personnellement je n’avais plus le temps de faire du rap, tout mon temps je l’ai donné pour le mouvement social. En 2012, Reda et moi on a rencontré Aymane, et on a décidé de travailler, de bouger. C’est là qu’on est revenu avec notre titre « Back to the old », un titre oldschool, classique. Ce titre c’était une manière de faire découvrir notre touche musicale qui est la oldschool. Mais ce n’est qu’en avril 2012 qu’on a sorti le premier titre marquant, celui qui nous réellement lancé, « Chayllah system ». Par la suite on a élargi la formation du groupe et surtout on lui a donné une représentativité nationale : avec 1 membre de Meknès, 1 membre de salé, et 3 membres de Fès. Le plus important c’est qu’on est tous issus de tendances diverses , et j’insiste sur la diversité !

S : J'aimerais bien que tu reviennes un peu sur ton expérience au sein du mouvement du 20 février en 2011. Comment as tu vécu la période de 2011 ?

H : En janvier 2011, je commençais à peine un travail sur un titre solo, et là je vois ce qui se passe au Maroc. Jusqu’ici je bougeais au niveau associatif, mais avec ce qui se passait, j’ai décidé de tout arrêter pour me consacrer à la rue, à l'activisme. J'ai donné tout mon temps pour ça. C'était l'année de ma Licence, il fallait trancher. Aujourd’hui je garde un bilan positif de tout ce qui s’est passé au sein du mouvement du 20 février. C’était une épreuve en quelque sorte. Un moment d’apprentissage. Et actuellement ce qui reste et qui est positif à mon sens c'est que le mouvement du 20 février s'est propagé dans plusieurs dynamiques, c’est à dire que ça bouge d’en bas. Et j’espère que ça aidera à changer les choses.

S : Et au niveau de la scène artistique alternative tu sens une influence ?

H : Bien sûr, même nous, le titre « Chayllah System » était directement inspiré de l’expérience qu’on a tiré après le moment fort du mouvement du 20 février. On a sorti le titre un an après le début « 20 » (1). Ce titre pour nous c’est le bilan de notre expérience mais aussi le constat de la situation actuelle. Dans le morceau on met en avant les ruses que le système met en place pour se maintenir. Montrer l’intelligence du système c’est en quelque sorte une manière de secouer les gens. On essaie de les réveiller, de dire aux gens qu’on est face à un adversaire politique réel – qu’est le Makhzen (2) – et qu’il faut se préparer : revoir notre manière de travailler mais aussi notre façon d’analyser les choses, revoir nos pratiques politiques. C’est un titre ironique avec beaucoup de sarcasme.

S : Quel accueil avez vous reçu de la part du public ?

H : Franchement je ne m'attendais pas à un tel feedback surtout que je voyais les réactions négative du « peuple marocain » lors des sorties des activistes- et par « peuple marocain » j’entends un citoyen marocain « normal » qui regarde la télé chaque jour. Mais étrangement le lendemain de la sortie de « Chayllah System » les commentaires étaient plutôt positifs, J’ai même vu des gens pro Makhzen, qui étaient contre le mouvement du 20 février au Maroc, qui ont voté pour la Constitution (3), et qui, pourtant, ont aimé le titre, qui l’ont même supporté et ont approuvé ce qu'on disait. C'est là le pouvoir de l'art. Là on voit l'effet de l'art et de la musique. Quand on a un beau travail - je dirais beau pour mon travail dans le sens où c'était un beau travail musical - quand on a un beau travail musical, qui est engagé, il peut changer beaucoup de choses. Et que ce soit avec le titre « Chayllah System » ou encore mon titre « Panorama » le retour était le même. Des jeunes qui écoutent le morceau viennent en message privée me demander de leur expliquer ce que c’est la politique d'ajustement structurel, ou encore c’est quoi l'affaire Mehdi Ben Barka, ou qui est Thomas Sankara, etc, Avec la musique ça passe plus facilement, et moi je trouve toujours beaucoup de plaisir à expliquer mais aussi à échanger avec les gens.

S : Tu m’avais dis que toi et les autres membres du groupe êtes proches du milieu ultras. Comment en ressens-tu l’influence sur votre musique ?

H : Je dirais qu'une grande majorité des jeunes qui forment la mouvance Ultras au Maroc écoutent notre musique, ils font partie de notre public. Forcément il y’a un échange, une influence qui s’entend. Dans le titre de Mehdi par exemple - « El Nashid » - il y’a des fumigènes dans le clip, on y sent un esprit Ultras qui se mélange et qui fusionne avec le hiphop et le rap. D’ailleurs dans la dernière réplique Mehdi parle des Ultras, il critique les ultras opportunistes qui profitent des équipes, qui cherchent l'argent du comité. Bref, ça crée un bel échange parce qu'en fait les deux mouvements sont nés de la rue. Ce sont des mouvements populaires, que ce soit le hiphop, que ce soit la culture urbaine en général, que ce soit le mouvement ultras, au final c’est le même esprit.

S : Et est ce que tu penses qu’il existe un potentiel contestataire qui peut émerger de la scène hiphop ?

H : Il peut émerger mais il est conditionné par l'encadrement. Actuellement, il y’a un grand manque d'encadrement, ce qui pose aussi la question du rôle des intellectuels, des politiciens, des gens actifs., ou plutôt qui normalement devraient être actifs dans la société civile. On remarque une absence ou une marginalisation des intellectuels. Aujourd'hui au Maroc on n'a pas de leader, de modèle. Dans les années 70, 80, 90 on avait Abderahim Bouabid, on avait je dirais Mohamed Abed Jabri, on avait des modèles, des intellectuels qui influençaient. On avait Mehdi el Menjra... y'avait beaucoup de noms qui influençaient les jeunes, qui inspiraient les jeunes mais actuellement il n’y a personne. L’élite intellectuelle au Maroc aujourd'hui ne joue pas son rôle, elle est absente à tous les niveaux : au niveau littéraire, politique, culturel, artistique. L'art marocain est absent et il n'est pas engagé. Aujourd’hui au Maroc on a un réel problème : les artistes ne sont pas engagés à l’exception d’une petite minorité qui fait ce qu’elle peut mais qui ne peut pas tout changer à elle seule.

S : Tu dis souvent que tu prônes l’indépendance. Est ce que le fait que, comme tu dis, il n’y ait plus personne d’actif sur la scène alternative engagée, a engendré une perte de confiance des jeunes dans les partis d’oppositions, mêmes radicaux ? Est ce que c’est cette perte de confiance qui te pousse à militer pour l’indépendance des artistes ?

H : Pour moi personnellement, et pour L’Bassline, l'indépendance c'est être indépendant financièrement et politiquement. Être indépendant des médias et de toute influence qui pourrait censurer, brider la liberté d'écrire et de penser. Pour moi, que ce soit être affilié ou influencé par un mouvement politique, un parti politique, un syndicat, une association qui a un caractère politique, par un média, c'est la même chose. L'indépendance est sacrée dans l'art. Un artiste qui n'est pas indépendant ne pourra jamais être vrai, être libre dans ses textes. Si on n’est pas indépendant on fait automatiquement de l'autocensure. Nous, on a fait ce choix, on en paie les pots cassés donc mais... (rires) on fait avec actuellement. Avec le prochain clip on veut justement montrer cette touche qu'on essaie d'imposer dans la scène rap marocaine et qu'on a partiellement pu imposer durant ces 2 dernières années. Prôner l’indépendance c’est l’un des objectifs du prochain album qui se prépare pour fin 2014. Mais le plus important pour nous ce n'est pas seulement la critique, le plus important c’est de faire bouger les choses et de motiver les jeunes. On manque de motivation actuellement. Il faut faire revivre la curiosité qui est en voie de disparition chez la majorité des marocains.

S : Tu dis avoir payé les pots cassés de votre indépendance.  Concrètement ça se matérialise comment ?

H : Ben déjà on se retrouve à être quasiment rejeté par certaines personnes qui voudraient qu’on soit dirigé, endoctriné par leurs idées. On a refusé plusieurs fois des invitations de partis politiques à des concerts. Des invitations on en avait souvent et on les refusait parce que pour nous un artiste ne devrait pas jouer chez un parti politique ou un organisme politique. Nous, on a nos positions politiques, on a nos idéologies, mais là c'est de l'art. On a payé les pots cassés parce qu'en fait on ne passe pas sur la radio, sur la télé, mais ça m'est égal. Aussi, au niveau personnel, on avait beaucoup de problème. Après le titre « Chayllah system », j'ai souvent reçu des appels de menaces après minuit. Il faut dire qu’à la fois j'étais activiste au niveau de la coordination du mouvement du 20 février à Fès, je le dis franchement, je n’ai pas de problème à le dire; et en même temps j'étais engagé au niveau de L'Bassline. C'est la première fois que je vais le dire: j'ai eu un zéro gratuitement à la fac, et j'ai dû refaire toute l'année ici à Fès, pour une seule matière. J'avais validé tous les modules avec une mention bien, c’était une pure sanction personnelle pour motif politique. Quand on a voulu revoir la feuille et recorriger la feuille, le chef du département nous a dit qu'il ne pouvait rien faire. Voilà je ne sais pas comment ça s'est passé mais c'était ça, c'était une vengeance, pour me faire calmer parce qu’en fait ils n'avaient pas de motif pour m'arrêter.

S : Au Maroc, il existe un risque pour les rappeurs engagés de se faire emprisonner ?

H : Oui, on a l'exemple de Mouad L7a9ed (4). Il a été arrêté pour atteinte à la sûreté nationale. Mais en général, je dirais qu'actuellement, à part l'exemple de Mouad L7a9ed, il n'y a pas d’autres exemples concrets de rappeur arrêté. On sait qu'il y a des limites, c'est vrai. Par exemple, il y’a des membres parmi nous qui visent clairement le système politique marocain, le Makhzen. Dans nos morceaux, on s'adresse au régime politique, au Palais, parce-que le Palais fait partie du Makhzen pour nous, au gouvernement, à la police. Mais moi personnellement, je l'avais dit sur une interview, sur FAB TV il y a 2 ans, je pense qu’il faut être un peu malin dans l'écriture du texte. On peut dire plein de choses clairement, mais dans les règles, sans insulter. Il faut éviter les insultes. Effectivement il faut être intelligent parce que, je le dis et je le répète, on a besoin de nos jeunes dans la rue, au cœur de la société civile.

S : Tu veux dire qu’on a besoin de nos jeunes dans la rue et non pas en prison ?

H : C'est une évidence pour moi. C'est un axiome. On a besoin de ces jeunes avec nous. Ça ne sert à rien de se sacrifier, de se laisser aller, pour une petite réplique, qui ne changera rien en fin de compte. On a besoin de changer les mentalités et non pas de clasher le système pour le clasher. Le système on le clashe chaque jour. On le critique chaque jour. Nos positions sont claires. Il faut répéter ça, il faut le dire, oui, mais on a besoin de motiver, de réveiller les esprits. De pousser les gens à s'indigner et à penser. Notre tâche est de libérer la pensée de cette génération.

S : Dernièrement, lors de la sortie du dernier album de Mouad el 7a9ed, sa conférence de presse – qui devait se tenir dans une librairie militante – a été interdite par les autorités. Quelle a été ta réaction ?

H : Ça m'a fait rire en fait. C’était drôle parce qu'en fait c'est un jeune marocain qui fait de la musique, qui a un album, qui veut le présenter devant une audience pacifique, avec voilà... des gens normaux, en pantalons, espadrilles, ils sont là, ils sont beaux, gentils, sympas, ils ont une conférence à faire et ils vont partir chez eux. Il n’y'a aucun motif pour arrêter une conférence artistique. Voilà, ça fait rire. Moi je me demande est-ce que le Makhzen n'a plus rien à faire à part suivre les activistes, les artistes ?

S : Peux-tu me parler un peu des campagnes qui ont été menées au Maroc pour la libération des prisonniers politiques ?

H : Je dirais que cette cause elle nécessite une collaboration et un travail au niveau international, c'est-à-dire un échange. Les raisons pour lesquelles on a des prisonniers politiques au Maroc, est la même qu’ailleurs : c'est toujours la liberté d'expression ou la liberté de manifester qui est en cause. Pour moi c’est clair, je suis contre l'emprisonnement, contre ces répressions, contre la détention de ces jeunes qu’on inculpe sous des motifs déjà préparés. Il faut savoir qu’au Maroc la majorité des prisonniers politiques sont inculpés pour deal de drogue. Etre activiste c'est être dealer de drogue désormais. (rires) Moi je dirais qu'il faut collaborer avec des mouvements au niveau international, que ça soit artistes ou activistes pour mettre une pression plus grande. Au Maroc, la situation est grave parce qu’on n'a plus le statut de prisonnier politique. L'Etat, le ministre de la Justice, nient le fait qu’il existe encore des prisonniers politiques. Et même le conseil national des droits de l'homme corrobore les propos du pouvoir. Pour eux, le prisonnier politique n'existe pas, ceux qui sont arrêtés sont des « dealers de drogue » et point.

S : Et vous alors, vous avez peur d’aller en prison ?

H : Oui c'est clair, c'est clair. Je ne pourrais pas le nier. Quand je reçois un appel... un appel à 3h du matin, et que l’on me menace... Je n'ai pas peur pour moi-même, j'ai une famille, j'ai une maman, un papa qui ont peur pour nous... En fait ça nous est déjà arrivé, ça nous arrive toujours de penser aux gens qui nous entourent. En fin de compte tu ne te fais pas mal quand tu prends des risques, mais y'a des gens qui risquent avec toi le même sort. Mais bon, quand on prend l'habitude, quand on s'attache à des positions, ce degré de peur diminue avec le temps.

S : Je suppose que la scène rap engagée au Maroc s’organise en réseau alternatif. Peux-tu m’en parler un peu ? Est ce que vous avez des contacts par exemple avec les autres scènes rap maghrébines ?

H : Je vais commencer par la Tunisie... Moi l'année dernière j'ai eu la chance de partir au Forum Social mondial de Tunis (2013). Sur place, j’ai eu l'occasion de rencontrer des rappeurs tels que Klay BBJ et d'autres noms de la scène tunisienne. On avait pensé à collaborer, de voir comment faire les choses. Bon, prochainement il va y avoir un travail avec Klay, il viendra au Maroc, donc on pourra faire un petit truc ensemble. Pour le moment il n’y'a pas une très bonne communication entre rappeurs marocains et rappeurs tunisiens. Je parle de la Tunisie parce qu’en fait c'est là où ça bouge le plus. Mais il existe un échange émotionnel. Le titre « 3issyane moussi9i », qui est venu en solidarité avec l'arrestation de Weld El 15 en était une preuve.

S : Et aujourd’hui quels sont vos projets ?

H : Au niveau personnel il y aura la sortie de mon titre « Speech », c'est un clip qui devrait sortir au mois d’avril normalement. Et puis il y’a deux clips ou trois pour L’Bassline, et d’autres projets. Par exemple, il y'aura le titre « Exactement », ça se nomme ainsi, ça se prépare, on cherche encore avec qui travailler le clip. On cherche aussi des gens pour nous aider pour finaliser l’album. On pense à un financement public, sur internet, c'est une idée, parmi d'autres. On pense aussi à sortir des sweats et des t-shirts « 3issyane » pour faire bouger les choses et changer de démarche. Et il y’aura aussi le Clip « Phénol », pour marquer le retour du groupe.

S : Comment ça se passe exactement pour le tournage de vos clips ?

H : C'est de l'autoproduction. Avec L’Bassline on a filmé nous-mêmes, on échangeait les caméras. Et quand on voulait se poser à 3 devant la caméra, c'était un plan fixe (rires). Mais après on a essayé de travaillé avec des copains. Certainement, on aura le soutien des jeunes de l'ISCA de Rabat. Mehdi a déjà travaillé son clip avec Naji Tbel, qui faisait partie de Guerilla cinéma (5). C’est une entraide entre des jeunes qui partagent avec nous les mêmes positions et avec qui on a l’habitude de collaborer.

S : Merci beaucoup du temps que tu m’as accordé, c’était un plaisir d’approcher un peu de l’intérieur votre travail

H : Merci à toi, et le rap, la lutte continuent…


(1) Abréviation commune du « mouvement du 20 février »
(2) Le Makhzen est le nom donné à la structure de pouvoir au Maroc
(3) Face au mouvement du 20 février, le 09 mars 2011 le Roi du Maroc a annoncé le lancement d’une réforme constitutionnelle. Cette réforme qui était annoncé par le pouvoir comme l’avènement de la garantie démocratique au Maroc a été refusé par le mouvement du 20 février qui a mené une grande campagne de boycott du vote.
(4) Mouad L7a9ed, est un jeune rappeur marocain, militant du mouvement du 20 février.
(5) Groupe « d’artiviste » qui monte des projets audiovisuels militants.


Interview réalisée par Souriyya Tikki pour BBoyKonsian en Février 2014.

Jeudi 3 Avril 2014





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