"Parti de l’initiative d’étudiants des universités de Villetaneuse et de Saint-Denis, ce journal s’inscrit dans une dynamique locale de résistance globale. Modestement mais sûrement, nous nous attachons à diffuser une autre information, et à analyser l’actualité d’en bas, celle de ceux qui luttent, qui valorisent la solidarité, dont on parle peu ou mal dans les grands médias…"
L’Autrement continue d’affirmer que les espaces où nous écrivons, vivons, luttons, ne sont pas neutres mais traversés par des dominations partout présentes. Prendre la parole n’est pas neutre.
Le contexte qui nous entoure, toutes ces pratiques, ces croyances, ces mots qui débordent les réalités de la langue française représentent à la fois le drame et la clef de nos luttes. Il dissimule en effet l’hypocrisie des mondes privilégiés fantasmant sur d’autres et parlant à la place des gens. Ces mots trop sûrs d’eux, trop confiant de baigner encore dans le moule dominant de la rationalité occidentale, universalisante, étalant toujours un peu plus le besoin de dire la finalité, de ramener à son savoir des choses qui n’ont jamais été vraiment vécues. Sous couvert de bienveillance et d’humanité, cette obstination à vouloir tout comprendre et tout expliquer transforme ce contexte pluriel en une nouvelle domination, plus sournoise, qui invisibilise un peu plus ceux et celles qui subissent déjà le déni de leurs paroles.
Ce contexte est aussi la clef pour construire de nouvelles pratiques de luttes et les inscrire là où se joue vraiment l’action au quotidien : dans la cohabitation qui implique relativisation et surtout déconstruction des rapports de domination et donc les efforts de traduction, de compréhension quotidiens qui doivent se faire mentalement et musculairement ; ceux qui forcent à se mettre en retrait lorsqu’on appartient aux mondes privilégiés, ceux qui laissent la place à la parole des premier·e·s concerné·e·s qu’ils/elles soient femmes dans un monde patriarcal, racialisé·e·s dans un monde blanc, LGBT dans un monde hétéro-centré, musulman·e·s dans une ère islamophobe; ceux qui préparent des nouveaux espaces de partages associés à d’autres langages et d’autres références. Ces autres références, L’Autrement s’efforce de les porter, de Ouagadougou à Alger en passant par les prisons amerikkkaines ou St-Denis.
Parce qu’elles sont associées à d’autres luttes, d’autres figures révolutionnaires, d’autres pratiques centrées sur la dignité, l’intégrité, la terre et la liberté. Ces autres mondes existent bien, les langages qui les portent aussi. À nous de nous y rattacher, de les renforcer, de nous en inspirer.
Que savent d’une société ceux qui en parlent et la commentent? Que peuvent nous apprendre de plus sur les mouvements sociaux, sur les révolutions, ceux qui, soi-disant, les représentent? Leurs paroles ne peuvent qu’être partielles et orientées. Ils ne peuvent qu’écrire les mots depuis leur point de vue en surplomb, avec l’arrogance et le ressentiment de celui qui croit savoir sans vivre. Qu’en est-il de ce qui est vécu au plus profond des cœurs et des chairs? Où travaille, où vit, où mange, d’où parle celui qui a la parole d’habitude? Pourquoi donc aurait-il quelque chose à dire, depuis là-haut, figé dans sa pensée dominante ou son dogmatisme politique, sur un monde en perpétuel mouvement? Pourquoi attendre, commenter, tolérer ses mots, s’il n’est pas des nôtres?
L’Autrement est d’abord un journal qui se réalise dans des luttes du quotidien. Et elles commencent bien souvent par la nécessité d’avoir un peu d’espace, une maison, un lieu pour soi. On ouvrira donc ce numéro avec un long dossier, composé d’une petite foule d’entretiens, sur différentes expériences de luttes pour se loger dans plusieurs pays.
Contre les renoncements, le fatalisme, le repli individualiste ou les grands discours théoriques de ceux qui peuvent attendre, il y a l’acte politique des autres, qui n’ont souvent pas le choix : il faut un toit, même sans la loi.
Squats, centres sociaux autogérés, espaces occupés sont des endroits où s’expérimentent l’entraide et où peuvent se rencontrer luttes de classes et luttes communautaires. À l’heure où nos mouvements passent nécessairement par une réappropriation collective d’un espace public colonisé par la société de consommation capitaliste, ces lieux montrent à leur façon comment il est possible de résister maintenant, et tout de suite.
Éphémères, chaotiques, violents, c’est généralement l’image qu’on renvoie systématiquement des squats, même chez les militants de gauche bien intentionnés. Pourtant, ils sont souvent des endroits où arrivent enfin à vivre paisiblement des familles et leurs enfants, où peut se reposer la question de la gestion collective de nos vies, l’endroit où peut s’exprimer, se partager une culture, des savoir-faire, un art, des musiques, du cinéma populaires...
Sommaire de ce numéro 1.4 : Dossier d'expériences d'occupations-autogestions (St-Denis - Ivry-sur-Seine, Toulouse, Turin, Florence, Berlin, Istanbul) réalisé avec des camarades du Collectif pour la réquisition l'entraide et l'autogestion (CREA) de Toulouse, dossier sur l'insurrection au Bukina Faso, la campagne BDS, le féminisme, l'islamophobie, entretien avec le collectif Angles Morts autour de la collection "Radical America", nouvelle de Skalpel...
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